Cours : LE TRAVAIL

Publié le 9 Avril 2023

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Sebastiao Salgado

 

 

Travail et condition humaine    

 

1. Travail et nécessité

L'homme est un être vivant. Pour survivre il doit satisfaire ses besoins,  manger, s'abriter, se vêtir...Pour cela l'homme n'a pas le choix, il doit "travailler", c'est-à-dire transformer les choses de la nature pour produire des biens utiles à sa vie.   Il ne peut pas faire autrement . Le travail est pour lui nécessaire.

Ce qui est une nécessité pour l'espèce humaine, est aussi une nécessité pour le genre humain. Aujourd'hui, même si un homme choisit de ne pas "travailler" (transformer la nature, par exemple cultiver la terre, extraire du minerai ...) en se contentant du fait de ses ressources d'acheter à un autre de quoi satisfaire ses besoins, il profitera de toute façon du travail d'un homme qui aura par ses efforts transformé  des matières premières pour produire des biens utiles à la vie humaine.

Définition : Dans un  sens général le travail désigne la relation primordiale de l'homme à la nature. L'activité par laquelle l'homme transforme les choses de la nature pour produire des biens utiles à la vie.

Le travail  exprime la nécessité dans laquelle se trouve tout homme de subvenir à ses besoins. Il se vit la plupart du temps sous la forme d'une contrainte qui s'impose de l'extérieur  à l'homme. Tout travail nécessite un effort ou une dépense d'énergie, effort qui peut être pénible et douloureux.

Cela explique que généralement les hommes n'aiment pas travailler. Ainsi historiquement le travail est associé à des représentations négatives qui reprennent ces caractéristiques de nécessité et de contrainte.

- On peut par exemple penser au mythe biblique du péché originel : Adam et Eve sont chassés du paradis et condamnés de subvenir à leurs besoins par le travail. Eve est condamnée à enfanter dans la douleur (" tu enfanteras en travail les enfants") et Adam à devoir travailler pour assurer leur subsistance (" tu mangeras ton pain à la sueur de ton front"). Le travail est ainsi présenté comme un châtiment divin. Au paradis les hommes n'avaient pas besoin de travailler pour vivre. 

- On retrouve cette signification de contrainte et de pénibilité dans l'étymologie latine du mot travail, "tripalium", qui désigne  à l'origine un trépied pour ferrer les chevaux et les bœufs, puis un instrument de torture. Le nom travailleor qui donnera travailleur ne signifiait d'ailleurs pas à l'origine l'ouvrier ou l'artisan, mais le tourmenteur ou le tortionnaire, celui qui "travaillait" les membres du condamné.

- Dans l'Antiquité, le travail exprime la misère de l'homme assujetti à la matière.  Aussi c'est parce que le travail est par nature dévalorisant qu'il ne peut être confié qu'à des êtres dont la condition est dévalorisée : les esclaves. Par opposition l'homme "libre" sera celui qui a des loisirs, c'est-à-dire qui ne sera pas contraint de travailler pour subvenir à ses besoins (ses esclaves ou ses domestiques s'en chargeront).

Remarque :  En latin on oppose par exemple l'otium , le loisir studieux, au negotium, le travail, les affaires (qui a une signification négative du fait de l'utilisation de la racine neg-).

 

2. Travail et liberté

Le travail exprime la relation primordiale de l'homme à la nature : pour survivre l'espèce humaine dépend de son milieu naturel, qu'elle transforme pour produire des biens utiles à l'existence des hommes. Mais en même temps qu'il est le signe de la dépendance ou de la servitude de l'homme, le travail est aussi le remède à cette dépendance, le moyen de son dépassement.

L'homme doit travailler, transformer les choses de la nature pour vivre, mais  bien qu'il soit un être naturel comme les autres espèces vivantes, sa façon d'être au monde fait de lui un étranger, un être extérieur à la nature, une nature qu'il vit aujourd'hui comme autre, hostile et inhospitalière. Par le travail comme activité de transformation de la nature, il va progressivement domestiquer, rendre familier (humaniser) ce qui lui était extérieur et étranger. Il va donner forme et signification à ce qui était informe et dépourvu de sens. 

 

• Référence : HEGEL - La dialectique du maître et du serviteur.

Dans ce texte extrait de La phénoménologie de l'Esprit,  Hegel développe  l'idée que le  travail comme est le lieu de la libération ou de l'émancipation de l'humanité.

Pour  décrire le processus historique  par lequel l'espèce humaine réalise son humanité dans le monde, Hegel imagine la rencontre de deux êtres dotés de volonté,  désirant s'affirmer et se réaliser comme volontés  dans le monde.

Chacune de ces deux volontés ne peut se réaliser comme volonté libre que si une autre liberté, égale en valeur, la reconnaît comme telle. En effet, chacune a  besoin de trouver en face d'elle une résistance qui lui permette de s'éprouver comme désir d'affirmation de soi dans la soumission de l'autre. Par conséquent cette reconnaissance  que cherche chacune des volontés n'est possible que dans la confrontation ou le conflit des deux volontés. Autrement dit le désir de se réaliser poursuivi par chacune des deux volontés entraine, nous dit Hegel, une lutte à mort entre elles.

Concrètement ces deux volontés peuvent prendre la forme de la rencontre de deux hommes qui sont prêts à tout pour affirmer leur liberté. Nos voyons ici que la réalisation de la liberté de chacun ne peut se faire qu'au dépend de l'autre. On retrouve ici la description de l'état de nature de Hobbes dans lequel chacun est à égalité avec tous les autres et est de ce fait toujours prêt à s'engager dans la guerre de tous contre tous. 

Le vainqueur, ( celui dont la volonté qui sera reconnue comme liberté), sera  celui dont la volonté n'est asservie par aucun déterminisme. Plus précisément  ce sera celui dont la volonté  n'est pas asservie à la nécessité de vivre. Celui-là acceptera de risquer sa vie dans le combat. L'autre, celui qui est vaincu,  préfèrera survivre en serviteur plutôt que de prendre le risque de mourir. Il "choisira" donc de se soumettre .

Dans cette guerre le vainqueur ne tue pas son prisonnier car celui-ci est le reflet permanent de sa victoire. Il a besoin de la soumission de l'autre pour réaffirmer en permanence sa liberté. Il faut  remarquer que le mot esclave vient du latin "servus" qui signifie "celui qui a été conservé".

Le maître contraint le serviteur au travail, pendant que lui profite des agréments de l'existence. Le serviteur subvient donc aux besoins du maître : il cultive la terre,  entretient le foyer, tisse les vêtements, fabrique les outils et les armes... Le maître ne connaît donc pas les rigueurs du monde matériel, il a le serviteur pour cela qui s'interpose entre lui et le monde.

Mais le maître dont la seule occupation est la guerre, est progressivement gagné par l'oisiveté. Il ne sait plus rien faire et devient dépendant du savoir-faire du serviteur. Car le serviteur, sans cesse occupé à travailler, apprend à connaître la nature, à la maîtriser en utilisant son savoir. Il  conquiert ainsi progressivement une nouvelle forme de liberté.

Par un retournement dialectique, le travail servile marqué du sceau de la contrainte et de la nécessité,  lui rend  sa liberté. Lui qui par lâcheté avait renoncé à sa liberté, par crainte de mourir, il reconquiert sa liberté en s'affirmant comme une liberté ingénieuse contre la nature, qu'il dompte au moment même où le maître, qui ne sait plus travailler, devient lui  dépendant de son serviteur. Le travail est donc pour Hegel l'expression de la liberté reconquise.

 

 

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Walker Evans

 

Ainsi le travail n'est pas pour l'homme une quelconque transformation de la nature.  Le travail humain se distingue fondamentalement du travail animal dans le fait que l'homme pense et veut ce qu'il fait, contrairement à l'animal qui est déterminé par l'instinct.  Le travail  est toujours une transformation dirigée dans un sens particulier voulu par l'homme. Le travail est donc l'expression concrète de l'intelligence humaine, une intelligence qui n'est pas asservie à la nécessité. Le travail  part de la nécessité, de la satisfaction des besoins  pour s'élever vers la contingence (Dans le travail,  l'homme est capable d'innover, de créer des formes nouvelles à l'infini) . Le travail est donc fondamentalement liberté.

 

 

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Le problème de la mécanisation du travail

Marx : exploitation du travail et aliénation du travailleur.

 

Alors qu'on pensait que l'introduction de machines diminuerait la pénibilité du travail et serait le moyen qui permettrait l'avènement d'une société de loisirs, Marx démontre dès le milieu du XIX° siècle, comment l'introduction des machines dans les processus de production, dégrade les conditions de travail des hommes.

L'essence de la révolution industrielle est pour Marx dans la substitution des machines au travail manuel. Le passage de la manufacture à l'industrie moderne est marqué par la mécanisation des processus de production. Cette mécanisation affecte non seulement le modus operandi du procès de production, mais également la nature et la composition de la classe ouvrière. En effet l'introduction du machinisme supprime, ou réduit considérablement le besoin de spécialisation, et privilégie plutôt la rapidité et la dextérité. Il permet ainsi l’emploi massif des femmes et des enfants et diminue la valeur de la force de travail des adultes de sexe masculin,  supprime le besoin  d’une formation longue et coûteuse.

Ainsi la nouvelle organisation du travail qui en découle,  massifie la main d’œuvre,  déqualifie le travail,  élargit l'exploitation des travailleurs aux femmes et aux enfants, pour aboutir à la création d'un prolétariat, c'est-à-dire à la création d'une classe sociale  qui ne possède rien d'autre que sa force de travail - classe sociale nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme. 

Dans son ouvrage Le capital, Marx  montre comment le capitalisme se fonde sur l'exploitation du travail c'est-à-dire sur l'extorsion (le vol) d'un surtravail non payé qui alimente les profits :

 Le capitalisme comme système économique n'a pas pour objectif la satisfaction des besoins humains mais a pour seule finalité  l'accumulation de toujours plus de profit.

D'où vient le profit ?

Selon Marx, le capitalisme repose sur la division de la société en deux classes sociales :

- Une classe sociale qui possède les moyens de production (les terres, l'argent, les usines, les machines, les matières premières ...) que Marx désigne sous le terme de "capitalistes".

- Une classe sociale composée d'individus (hommes, femmes, enfants) qui ne possèdent rien d'autre que leur corps et leur force de travail, classe sociale que Marx désigne sous le terme de prolétariat.

 

Au XIX° siècle  le modèle économique dominant explique les relations économiques en se référant au modèle du marché et de la "main invisible"  inspiré d'Adam Smith  (modèle qui est encore largement en vigueur dans les doctrines néo-libérales actuelles):

- Les capitalistes et les prolétaires se rencontrent sur un marché, le marché du travail.

- L'équilibre entre l'offre et la demande de travail fixe le juste prix du travail auquel le capitaliste achète au prolétaire sa force de travail.

- L'embauche du travailleur repose sur un contrat de travail.

Ce qui devrait signifier :

- 1) que chacune des deux parties  s'engage librement dans le contrat.

- 2) que chacune des deux partie tire un avantage dans l'échange. Le capitaliste obtient la force de travail nécessaire au fonctionnement de ses machines. Le travailleur obtient un salaire pour vivre.

- 3) personne n'est perdant dans l'échange et en retire au moins la valeur de ce qu'il y a mis.

Marx critique ce modèle explicatif et montre que l'échange est fondamentalement injuste et inéquitable.

- (1) Pour vivre le prolétariat n'a pas d'autre choix que de vendre sa force de travail aux capitalistes. Travailler est pour lui une question de vie ou de mort.  Le travailleur ne s'engage donc pas librement dans l'échange.  Il n'a pas non plus la possibilité de discuter du montant de son salaire. D'autant plus qu'il est la plupart du temps mis en concurrence avec les autres demandeurs d'emploi.

- (3) Le prolétaire est  toujours perdant dans l'échange.

Une marchandise est par définition un bien produit pour être échangé sur un marché. Dans le système capitaliste, la force de travail est une marchandise comme une autre : c'est un bien que le travailleur produit et entretient dans le but de la vendre sur le marché du travail.

Or cette marchandise, la force de travail possède une propriété miraculeuse : elle génère plus de valeur qu'elle n'en coûte pour son entretien. Il suffit de prendre l'exemple des ouvriers tisserands qui fabriquaient  des tissus précieux  et coûteux pour les puissants, que l'on nourrissaient et habillaient avec trois fois rien, et qui vivaient dans une grande misère.

Si l'échange force travail contre salaire était juste, le capitaliste devrait donner au travailleur l'exacte valeur produite par la force de travail. En effet ce qui fait la valeur réelle de la force travail est la valeur que le travailleur ajoute et incorpore dans le processus de production. Par exemple l'ouvrier tisserand qui produit des brocards de soie, incorpore dans le processus de production une importante valeur ajoutée qui explique que ses tissus sont précieux et coûteux, et il devrait par conséquent toucher un salaire qui soit le reflet exact de la valeur de son travail. Or ce n'est pas le cas puisque l'ouvrier tisserand vit dans la misère. Pourquoi ? Parce que le capitaliste ne lui verse pas un salaire qui équivaut à la valeur réelle de son travail, il lui verse seulement ce que Marx appelle un salaire de subsistance qui équivaut à ce qui est nécessaire au travailleur pour renouveler sa force de travail.

Ainsi l'écart entre la valeur réelle du travail ou la valeur ajoutée par le travail dans le processus de production et le salaire de subsistance, est concrètement du travail qui n'est pas payé ou qui est volé au travailleur. C'est ce travail volé à l'ouvrier qui constitue le profit.

On comprend l'intérêt qu'à le capitaliste de faire à la fois pression à la baisse sur les salaires et à la fois de faire pression à la hausse pour augmenter le temps de travail. Dans les deux cas il en résulte une augmentation du travail non payé et donc du profit que peut s'accaparer le capitaliste.

Dans le processus de production le travailleur est dépossédé de son corps, de ses compétences, et du produit de son travail qui appartient au capitaliste. Considéré comme une simple force productive et non comme un sujet il est traité comme une chose, comme un moyen de production qui doit être efficace et performant sous peine d'être considéré comme obsolète et d'être jeté.

Le problème est que cette déshumanisation du travailleur ne s'arrête pas aux portes de l'usine. A force d'être traité comme une chose, l'homme se pense comme une chose.  Aujourd'hui l'idéologie de la performance, de la productivité, de l'efficacité imprègne toutes les sphères de la vie humaine, jusqu'au plus profond de l'intimité des hommes. Cet oubli de soi, c'est ce que Marx appelle l'aliénation.

Dans le système capitaliste où l'homme exploite l'homme comme une ressource parmi d'autre, l'homme a oublié ce qu'il était : une fin en soi. Il se pense désormais comme une chose et se traite comme telle. Il est devenu étranger à sa propre humanité. 

 

Remarque :  Pour Marx le prolétariat est la classe sociale qui porte en germe les conditions politiques de la transformation de la société. En effet nous dit-il, les conditions de travail et de vie de cette population sont, dans les faits, si difficiles que les individus ne peuvent que souhaiter l'abolition et le remplacement d'un tel système économique et politique par la révolution.

Aujourd'hui, si l'on se base uniquement sur les conditions de vie des travailleurs, on peut malheureusement douter que les conditions d'une transformation de la société soient remplies. La hausse du niveau de vie, le développement de la société de consommation, l'externalisation de la production dans des pays autoritaires où il n'existe quasiment pas de droit du travail, etc. ... , mais aussi l'avènement de l'Etat social dans les pays développés ont rendu "les chaînes" d'une partie des "prolétaires" plus supportables, et on peut penser  que le capitalisme ait encore de beaux jours devant lui.

Il semble désormais que seule une prise de conscience à l'échelle planétaire de la catastrophe écologique qui se prépare puisse remettre en question en profondeur le modèle économique capitaliste. Malheureusement l'actualité nous montre que nous en sommes encore loin.

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Aline Louangvannasy

Publié dans #cours

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H
Merci pour ce cours, il est vraiment compréhensible et clair.
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C
super! jai compris cet cours d'avantage
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B
C'est n'est pas satisfaissante
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A
Merci ce cours renforce nos conaissances
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F
Toujours instructif. C'est encore mieux que d'aller voir les panthères au stade. Merci pour toutes ces précisions.
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N
t nom c anne kkkkkkkkk c incroiyable tu es une filles ou un garcon
M
Je ne peux que vous remerci3
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N
ctu remarcie a ki mlle
N
ctu remarcie a ki mlle
M
Parfait exactement ce que j'ai vu en cours, mais c'est encore plus précis <3
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I
merci pour ce cours , qui donne une assez bonne vue sur le sujet
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O
j 'aime car cela m' aide beaucoup
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N
le travail est il un moyen de liberation