Sujet corrigé : " Le barbare c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie", Claude Lévi-Strauss , Race et Histoire (1961)

Publié le 27 Janvier 2013

Ce corrigé doit permettre aux élèves qui ont travaillé sur le texte de confronter leurs hypothèses de lecture. Il n'est pas destiné à être recopié "bêtement". COPIER N'EST PAS PENSER.

Séries technologiques 

 

 

On sait, en effet, que la notion d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée. Là même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il est nullement certain - l'histoire récente le prouve - qu'elle soit établie à l'abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion apparaît totalement absente. L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives  se désignent d'un nom qui signifie les "hommes" (ou parfois - dirons- nous avec plus de discrétion "les bons", "les excellents", "les complets), impliquant ainsi que les autres tribus groupes ou villages  ne participent pas des vertus - ou même de la nature humaine, mais sont tout au plus composés de "mauvais", de "méchants", de "singes de terre" ou "d'œufs de pou" [....]. Dans les Grandes Antilles, après la découverte de l'Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était ou non, sujet à la putréfaction.

Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du relativisme culturel (que nous retrouverons ailleurs sous d'autres formes) : c'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier. En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus "sauvages" ou les plus "barbares" de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leur attitude typique. Le barbare c'est celui qui croit à la barbarie.

 

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire (1961)


Pour expliquer ce texte vous répondrez aux questions suivantes qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.

  1. Dégagez l’idée principale du texte et les étapes de l’argumentation.
  2. a) Comment expliquer que la notion d'humanité soit d'inspiration tardive ? b) Qu'est-ce qui entrave sa prise en compte?
  3.  Peut-on dire que le  comportement des Espagnols et des Amérindiens illustre la notion de relativisme culturel.
  4. Commentez la dernière phrase du texte : " Le barbare c'est d'abord celui qui croit à la barbarie".

  

hamar-portrait-ethiopia_60636_990x742.jpg

 

Portrait d'une femme du peuple Hamar, (Ethiopie) de Pascal Mannaerts (09/11/2012)

 

CORRIGE

 

Remarques générales

● Le sujet-texte ne doit pas être choisi par "défaut".  Ce n'est pas parce qu'il y a un texte précédant un questionnement que l'exercice serait  plus facile que la dissertation.  Le sujet-texte exige d'avoir des connaissances philosophiques et des compétences argumentatives. Sans cela l'élève court à la fois le risque de paraphraser le texte sans véritablement le comprendre, et de rester au niveau de l'opinion non critique pour ce qui est du commentaire du texte. 

● L'objectif de l'exercice est d'expliquer et de commenter de façon rigoureuse et méthodique un texte philosophique.

● Il est important d'être rigoureux et méthodique dans cet exercice.  Le premier moment de la  lecture méthodique consiste à dégager une grille de compréhension globale du texte.

  

A. Compréhension globale du texte 

1. Dégagez l'idée principale du texte et les étapes de l'argumentation.

Thème : la barbarie

Question posée par le texte : Qu'est-ce qu'un barbare .

Thèse : Le barbare c'est celui qui croit à la barbarie.

Le barbare n'est pas l'homme dépourvu de toute culture qui vivrait dans un état proche de l'animalité (opinion commune), le barbare c'est l'homme qui utilise l'argument de la différence culturelle pour exclure l'autre de l'humanité. 

 

Étapes de l'argumentation (plan du texte) :

Le texte se divise en trois parties :

- 1° partie :  lignes 1 à 7 - L'histoire montre que rien n'est moins évident que l'universalité de l'idée d'humanité. L'idée d'une humanité universelle est récente, relative à certains groupes humains, elle est fragile et peut toujours être remise en question. 

- 2° partie : lignes  7 à 17 - Définition de l'ethnocentrisme. C. Lévi-Strauss prend en exemple la rencontre des Espagnols et des Amérindiens XV° siècle. 

- 3° partie :  lignes 18 à 24 - Thèse du texte :  Le relativisme culturel (la diversité des cultures) peut conduire paradoxalement à  la barbarie. Définition de la barbarie.

 

B. Explication détaillée du texte

2. a) Comment expliquer que la notion d'humanité soit d'inspiration tardive ? b) Qu'est-ce qui entrave sa prise en compte?

- a) La notion d'humanité est d'inspiration tardive. L'histoire montre que les groupes humains ont  vécu pendant  des siècles, isolés, repliés sur eux-mêmes, pensant qu'ils étaient les seuls représentants de l'humanité. Ils ont ainsi construit des définitions de l'humanité à partir de leur propre expérience et de la représentation qu'ils se faisaient d'eux mêmes.

C'est le développement des échanges sur l'ensemble de la planète qui a permis que la construction de la notion d'humanité que nous connaissons aujourd'hui.

-  b) Ce qui constitue un obstacle à la construction d'une notion universelle d'humanité c'est le constat de la  diversité des cultures. Les valeurs, les coutumes et les traditions, les comportements collectifs diffèrent selon les  groupes humains.

 

3. Peut-on dire que le  comportement des Espagnols et des Amérindiens illustre la notion de relativisme culturel.

Le relativisme culturel consiste à affirmer  la diversité des cultures, ainsi que leur égale valeur.

Que ce soient les Espagnols ou les Indiens, chacun des deux peuples est persuadé d'être le seul représentant de l'humanité. Aucun des deux peuples n'envisage qu'il puisse exister une autre culture que la sienne. Ainsi confronté à la différence de l'autre chacun cherche à savoir à qui ou à quoi il a affaire. 

- Les Espagnols  se demandent  si les Indiens sont des hommes ou des animaux ? Pour cela il est crucial de déterminer  si les Indiens ont ou non  une âme.

- Les Indiens se demandent si les Espagnols sont des hommes ou des dieux immortels ? Pour cela il est important de savoir  leur corps est sujet à la putréfaction (comme eux) ou non (comme les dieux).

Que ce soient les Espagnols ou les Indiens, chacun se comporte à l'égard de l'autre groupe comme s'il n'appartenait pas à l'humanité. Il n'est donc pas question de relativisme culturel.  

Si les pratiques de chacun des deux groupes peuvent nous révulser, il ne s'agit pas de cruauté. Pour nous l'assassinat et la torture sont des actes condamnables car nous mettons en oeuvre dans notre jugement une représentation universelle de l'homme. Des deux côtés, les victimes sont pour nous avant tout des êtres humains. Ce n'est pas le point de vue des Espagnols ou des Indiens. 

 

C. Discussion de la thèse du texte

 

4. Commentez la dernière phrase du texte : " Le barbare c'est d'abord celui qui croit à la barbarie".

  La discussion ou question de réflexion (4) succède aux questions de compréhension (1) et d'explication détaillée (2)(3) du texte. Elle  a pour objectif d'ouvrir une discussion ordonnée et argumentée qui prend comme point d'appui, la thèse développée dans le texte. Il est donc nécessaire dans un premier temps, de bien comprendre le texte  en dégageant  la thèse et le plan de l'argumentation. Ce n'est qu'ensuite que l'on pourra se lancer dans le travail de réflexion et de rédaction, spécifiques à cette question. Il faut donc respecter impérativement l'ordre des questions. 

 

 

Introduction

Dans l'actualité nous sommes sans cesse témoins d'actes que l'on peut qualifier de barbares. Mais qu'est-ce qu'un barbare ? Dans ce texte  Claude Lévi-Strauss remet en question l'opinion courante qui voudrait que le barbare soit celui qui par ses actes se place de lui-même hors de l'humanité. Or il s'avère que seuls les hommes sont capables d'actes inhumains, d'actes de barbarie. Ce dont témoigne l'histoire de l'humanité. Refuser de penser la barbarie comme trouvant son origine dans l'humanité même c'est paradoxalement consentir à  la barbarie. Le barbare c'est ainsi "celui qui croit à la barbarie". 

I. La définition courante : le barbare c'est celui qui fait preuve de brutalité ou de bestialité

Claude Lévi-Strauss dans son ouvrage Race et histoire, nous  rappelle  que l'étymologie grecque du mot barbare renvoie à la confusion et à l'inarticulation du chant  des oiseaux par opposition au langage humain qui possède lui une valeur signifiant. Par suite ce mot désignera  celui qui est étranger, celui dont la langue n'est pas compréhensible. De même  le mot sauvage souvent  utilisé comme synonyme du mot barbare, tire son origine de sylva qui désigne ce qui vient de la forêt. Le sauvage ou le barbare  c'est donc celui que l'on renvoie du côté de la nature, hors de la culture et de la civilisation.

De la même façon le langage courant relie  la barbarie à l'animalité à laquelle on associe  la brutalité et la violence. Le barbare est alors celui qui, par ses actes violents, se place hors de l'humanité pour entrer dans  l'animalité.

II. Mais cette première définition n'est pas satisfaisante. Seuls les hommes commettent des actes barbares. En effet  il n'existe pas, par définition, d'homme en dehors de la culture et  de la civilisation.

Personne ne conteste qu'il y ait de la barbarie dans notre monde. Mais peut-on affirmer qu'il existe des êtres humains qui vivraient à l'état de nature, en dehors de toute culture ?  

Tous les hommes sans exception arrivent au monde dans la culture et possèdent une culture. La culture c'est à la fois l'ensemble de valeurs et de productions qui constituent le monde dans lequel nous vivons, mais c'est aussi le processus de formation et de développement qui permet à tout être humain de réaliser ce qu'il est : un être humain. En effet ce qui fait la spécificité de l'homme et le distingue des autres espèces animales, c'est que l'homme ne naît pas homme, il le devient. L'homme doit apprendre à être humain. Il reçoit son humanité en héritage. L'hérédité ne suffit pas. Ainsi si la culture est  la caractéristique de  l'homme, il n'y a pas d'un côté les êtres "cultivés" ou "civilisés" et de l'autre les "barbares" ou les "sauvages". Il n'y a que des hommes.

Ainsi lorsque nous attribuons à l'animal des comportements tels que la cruauté, ou  la barbarie  nous lui attribuons  en fait  des comportements que nous observons avant tout chez l'homme. L'animal n'est ni cruel, ni barbare. Seul l'homme est paradoxalement capable d'actes inhumains, de barbarie.

III. Deuxième définition de la barbarie : "Le barbare c'est celui qui croit en la barbarie"

Si le barbare est désormais un être humain comme nous, nous aimerions que celui-ci soit au moins un être dépourvu de tout jugement et de toute raison. Ce la nous rassurerait de voir dans celui qui commet des actes de barbarie  un malade, un  pervers pervers, un être  sous influence et irresponsable, ceux-là même que mettent en scène les séries criminelles que nous voyons à la télévision. 

Or le barbare n'est pas dépourvu de raison ou de jugement. Bien au contraire c'est celui qui a ses raisons de refuser la différence culturelle de l'autre. C'est celui qui armé de pseudosciences, hiérarchise les cultures et affirme la supériorité de son peuple, de son  groupe sur les autres. Au nom de cette supériorité tout est alors permis, de la simple remarque raciste, au crime le plus atroce.  Le barbare c'est donc avant tout "l'homme qui croit en la barbarie". 

IV. L'histoire de l'humanité raconte  la part inhumaine de l'homme

Ce que l'histoire qualifie aujourd'hui de barbarie ce sont  les crimes de masse, les guerres, les génocides, qui conduisent à l'extermination de peuples entiers au seul prétexte que ces peuples n'auraient pas le droit d'appartenir à l'humanité. Toute l'histoire de l'humanité ne fait que raconter l'inhumanité de l'homme. 

On peut citer en  exemple la colonisation de certains peuples par d'autres. Celle-ci a pour raison ou motivations la conquête territoriale ou économique, le pillage des richesses des peuples soumis, mais elle se justifie par un discours fondamentalement ethnocentriste, reposant sur la supériorité de la civilisation du vainqueur.

Nous pouvons aussi citer en exemple l'extermination méthodique et  systématique des Tziganes et des Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Leur seul crime pour leurs assassins et leurs bourreaux étant d'être ce qu'ils sont, des Tziganes ou des Juifs, ce qui les rend inférieurs aux Aryens et justifie leur anéantissement.

Conclusion

L'humanité est donc paradoxale puisque du fait de la diversité culturelle qui nous caractérise  l'inhumanité est toujours en germe dans l'humanité. Ce qui explique qu'il puisse y avoir des régressions. Sachant que c'est un bien fragile,  il ne tient donc qu'à nous d'être vigilants et de toujours oeuvrer pour l'humanité. 


 


 

 

 

 

 

Mots clés : barbarie,état de nature, culture, relativisme culturel, ethnocentrisme, humanité, inhumanité.

Rédigé par Aline Louangvannasy

Publié dans #explications de texte

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Un travail réfléchi, merci!
Répondre
J
Très bonne rédaction
Répondre
W
Bon, peut-être d'un point de vue philosophique (encore que nombre d'assertions soient très discutables, notamment parce que simplificatrices à l'excès), mais que de fautes d'orthographe, et de français en général !!! La forme ne plaide guère en faveur du fond... qu'elle dessert considérablement, et sur lequel elle jette le doute, l'un n'allant pas sans l'autre : dommage !!
Répondre
P
Tenant compte de cette remarque, l'article a été corrigé dans son ensemble. Merci
P
très bon travail
Répondre
O
tres bon article merci
Répondre